Ce
n'est pas parce que la grotte est difficile que nous n'osons pas,
c'est parce que nous n'osons pas que la grotte est difficile.
[
cliquer dans les photos pour les agrandir et obtenir des infos ]
Le
Gouffre Berger (-1122 mètres) lors d'un camp du 30 août au 5
septembre 1987
Chaque
spéléologue a, un jour ou l'autre, rêvé ou espéré
dépasser la cote des 1000 mètres sous terre. Or, dans la matière,
un gouffre sort vraiment du lot : le gouffre Berger.
Cette popularité lui vient par le fait qu'il est d'abord le premier
gouffre à avoir atteint cette profondeur, et ensuite qu'il nous gratifie
tout au long de la descente de paysages hors du commun, tels que la Grande
Galerie, la salle des Treize, la cascade Claudine, la Vire-tu-Oses ou l'Ouraqan.
Le
but de ce texte est également de montrer que le gouffre Berger est
à la portée de chaque spéléo bien entraîné.
Pour notre équipe, il a fallu 3 journées à 10 personnes
pour équiper, descendre jusqu'au fond et récupérer les
quelque 750 mètres de cordes et 90 mousquetons que nous avions descendus.
Mais n'anticipons pas, reprenons les choses dès le début.
En
septembre 1985, suite à une visite de près de 20 heures au Gouffre
Lonné Peyret (Pyrénées Atlantiques), nous étions
tous assis autour d'une table quand l'un d'entre nous lança :
-
Le Berger ! pourquoi pas nous ?
Et c'est ainsi que tout a commencé...
De retour à la maison, j'écrivis à la Mairie d'Engins
(la commune où se trouve le gouffre), pour demander une autorisation
de visite, car depuis bon nombre d'années l'accès y est réglementé.
Quelques semaines plus tard, je reçus un courrier contenant, comme
toutes les bonnes intrigues, une bonne et une mauvaise nouvelle
La bonne c'est que nous avions une autorisation officielle pour disposer à
notre guise de la cavité pendant une semaine tout entière. La
mauvaise nouvelle, c'est qu'il nous fallait être très patient
car la liste d'attente étant longue, cela repoussait notre expédition
de... 2 ans!
Pendant les mois qui suivirent, la fièvre du Berger nous quitta gentiment.
Ce n'est que quelques mois avant la date fixée que nous commencions
à gamberger. Il fallait d'abord régler les formalités
administratives, à savoir transmettre à la mairie d'Engins les
documents suivants :
Ces mesures paraissent peut-être un peu sévères, mais
il faut savoir que selon la loi française, en cas de recherche ou accident,
les frais de sauvetage peuvent se retourner contre le propriétaire
(dans notre cas la commune d'Engins) si
les personnes accidentées ou recherchées ne sont pas assurées.
Après ces détails réglés, nous pûmes commencer
l'organisation interne du camp.
Des responsables furent nommés afin de planifier différents
secteurs tels que le matériel pour le gouffre, les tentes de camping,
le couchage, le matériel de cuisine, la nourriture etc.
Pour l'organisation, le gros problème a été de savoir
qui allait vraiment participer au camp. Jusqu'au dernier moment, des gens
s'inscrivaient, d'autres se désistaient
bref sur les 25 inscriptions
de départ, 15 personnes furent présentes lors du camp, dont
10 pour aller au fond du gouffre.
Pour les groupes sous terre, il fut décidé de former 2 équipes,
qui descendraient séparément, et ce afin d'éviter les
longues attentes au bas des puits lors de la remontée. Afin que cette
descente se passe sans problèmes, il fallait bien sûr que chacun
soit bien entraîné physiquement. C'est pourquoi, dans les mois
qui précédèrent le camp, chaque équipe organisa
ses propres sorties en gouffre, afin que les moins actifs se refassent une
petite santé
Pour chaque groupe, il y eut une sorte "d'apothéose d'entraînement"
qui devait correspondre à un engagement physique similaire à
celui du gouffre Berger.
Pour la première équipe, ce fut en canyon que cette séance
s'effectua. Partis à trois un vendredi soir en équipement complet
de spéléo, ils descendirent de nuit les Cascades de Morcles
(Vaud / Suisse) d'une dénivellation de 654 mètres, en laissant
les cordes en place (près de 450m !). Une fois en bas, ils firent demi-tour
et remontèrent par le même chemin en récupérant
les cordes qui bien sûr étaient saturées d'eau. D'ailleurs
la cascade de 111 mètres avec 2 kits, dont un sherpa bourré
de cordes, ne fut pas une sinécure...
Sortis du canyon au petit jour, ils allèrent manger un gros steak (si
vous aviez vu la tête du restaurateur à 07h00 du matin!), pour
enchaîner ensuite avec une autre descente (mais ce coup-ci en rappelant
les cordes), d'un canyon tout proche : celui de l'Eau Froide (Vaud / Suisse),
d'une dénivellation de 680 mètres.
Pour la seconde équipe, l'exercice fut également à la
hauteur
Dans un premier temps, ils descendirent au fond du gouffre du Chevrier (Vaud
/ Suisse) d'une dénivellation de 499 mètres.
De retour à l'entrée du gouffre, il n'attendirent pas que leurs
yeux soient habitués à la lumière du jour, pour effectuer
un demi-tour afin de repartir au fond du trou !
Quelques heures plus tard, et non content de leurs efforts après pourtant
1000 mètres de dénivelé dans les jambes, ils décidèrent
de regagner une troisième fois le fond du gouffre. Après 17h30
d'affilée, ils sortirent fatigués, mais en heureux vainqueurs
du challenge qu'ils venaient de réaliser.
Vous l'aurez sûrement compris, ces séances d'entraînements
ont bien sûr été exagérées physiquement,
par rapport à l'effort à fournir pour le gouffre Berger. Néanmoins,
elles permirent à certains de mieux se connaître lorsque la fatigue
prend le dessus, et pour d'autres, de se prouver qu'ils étaient capables
de fournir un effort constant sur une vingtaine d'heures. C'est quand même
déterminant pour le déroulement du camp, car c'est garant d'une
réussite physique et morale.
Quelques jours avant le camp, je reçus une lettre de la commune d'Engins.
Elle nous signalait la disparition d'un membre d'une expédition anglaise
venu visiter le gouffre. La personne en question, un jeûne de 17 ans,
avait été vu pour la dernière fois vers -900, lorsque
pour des raisons de fatigue il décida de ressortir seul
A partir
de ce moment, personne ne l'a plus jamais revu. Une grande opération
de secours avait alors été déclenchée, mais aucun
élément ne pouvait indiquer s'il fallait orienter les recherches
dans le gouffre ou à l'extérieur, où d'ailleurs il est
très facile de se perdre. Le gouffre fut fouillé en détail
dans toutes les parties connues. Les alentours de la cavité furent
également passés au peigne fin. Vu l'âge du jeune homme,
l'hypothèse d'une fugue avait même été avancée
Après plusieurs jours, les recherches furent abandonnées.
Dans la lettre de la Mairie, celle-ci nous demandait de rester vigilant, et
de leur transmettre quelconque indice susceptible de retrouver la trace du
disparu. Pour nous, cette ombre qui planait au-dessus du gouffre ne nous réjouissait
pas trop, d'autant que si nous retrouvions la personne, elle ne serait plus
vivante.
Dimanche
30 août
A midi, chacun se retrouve sur parking de "la Molière",
terminus de la route.
L'après-midi fut occupé à installer le camp de surface
dans un pâturage situé 200 mètres à l'est du parking.
Pour
ce camp de surface, nous disposions de :
En fin de journée, la première équipe du fond commença
à préparer le matériel. Au total, 6 kits sherpa + 2 kits
normaux furent nécessaire pour emporter les cordes, mousquetons, nourriture
et carbure.
Le tout fut acheminé le soir même jusqu'à l'entrée
du gouffre, ce qui permit aussi à ceux ne connaissant pas l'entrée
de repérer son accès dans les multiples embranchements du sentier.
Ce fut également utile pour revenir au camp, au cas où, au terme
de notre visite, nous devions ressortir de nuit.
Lundi
31 août
Pierre, Patrick B, Pascal B, Serge et Otto font partie de la 1ère équipe.
A 9h00, Pierre et Serge attaquent l'équipement des puits.
Après 1h30, ils se retrouvent à -250 dans la Grande Galerie.
Ils sont rapidement (enfin presque!) rejoints par le reste de l'équipe
lourdement chargée. Un peu plus loin, au passage du lac Cadoux, qui
d'ailleurs est à sec malgré les pluies torrentielles de la semaine
précédente, nous nous rendons compte que nous avons gonflé
le bateau au mauvais endroit (grande cuvette boueuse également à
sec, ressemblant étrangement au vrai lac Cadoux, mais située
au départ de la Galerie Petzl). Vu que le temps est au beau fixe, nous
décidons de laisser le bateau à sa place. Au pire, si un lac
se forme, nous pourrons toujours nager
Arrivés au Balcon, nous installons notre première corde de 9
mm de diamètre, car nous avions convenu d'équiper jusqu'à
-250 avec de la 10,5mm. Au bas du ressaut, nous nous arrêtons pour manger
chaud. Nous évoluons ensuite dans des galeries si énormes, que
nous avons parfois l'impression de marcher de nuit, tellement les parois sont
éloignées.
A -500, nous arrivons dans la magnifique salle des Treize, lieu mythique de
ce gouffre marqué par des grandes épopées d'exploration
datant des années 1950.
C'est
également ici qu'à l'époque, nos prédécesseurs
avaient installé leur premier bivouac, car ils avaient besoin de plusieurs
jours pour mener à bien les explorations en profondeur.
Dommage qu'ils n'aient pas remonté leurs tonnes de déchets qui,
malgré plusieurs séances de dépollution (consistant plus
à camoufler qu'à ressortir), nous laisse encore aujourd'hui
une odeur particulière dans le secteur.
Une fois dans la rivière, nous retrouvons des dimensions plus humaines...
et la progression devient également plus technique (oppo, désescalade
etc). Le passage des grandes cascades reste très impressionnant. La
roche noire, associée au vacarme de l'eau, crée une ambiance
sinistre où il ne ferait pas bon s'attarder si le débit de la
rivière devait grossir.
Plus bas, vers -950, en suivant le cours de l'eau on bute généralement
sur un siphon que l'on peut éviter par un petit boyau facile. Certains
n'ayant pas repéré l'astuce, constatèrent en s'approchant
de plus près que le siphon n'était en fait pas amorcé,
et qu'il restait quelques centimètres entre l'eau et le plafond.
Au final, ils se sont rendu compte que les pontonnières c'est bien
pratique
mais seulement quand l'eau est du bon côté !...
Au passage du puits de l'Ouragan, d'autres l'apprécièrent tellement
qu'ils en restèrent figés au dernier fractionnement
Peut-être
l'émotion de passer à cet endroit la cote des -1000 mètres!
11 heures après être entrés dans le gouffre, nous arrivons
enfin au pseudo-siphon. Les parois lisses plongeant dans l'eau profonde ne
permettent alors plus d'avancer en opposition sans embarquer de l'eau dans
nos pontos. Nous décidons alors de faire demi-tour.
Avant d'attaquer la remontée de l'Ouragan, nous faisons un second repas
chaud au camp des Étrangers. Deux groupes sont ensuite formés,
à cause de l'attente dans les cascades. A -500 nous faisons un dernier
repas avant la sortie. Les premiers sortiront du gouffre 21 heures après
y être entré, tandis que notre ami Otto après 27 heures,
à cause d'une petite mésaventure dont voici le récit
:
Arrivé
au sommet de la cascade du Petit Général (vers -300), Otto s'aperçoit
que Pascal, devant lui, était en train de s'engager dans une autre
galerie que celle empruntée à la descente. Ses appels étant
couverts par le bruit de la rivière, Pascal continua son chemin sans
se douter de rien. Otto, pensant qu'il s'apercevrait très vite de son
erreur et reviendrait automatiquement sur ses pas, préféra alors
attendre bien sagement...
Après un temps interminable, Otto se dit qu'il était préférable
d'aller à sa rencontre, mais s'arrêta un peu plus loin, sur une
petite escalade jugée trop délicate pour lui. Il revint alors
à son point de départ et se mis à attendre à nouveau...
Les heures passant, et sa tension nerveuse devenant insupportable, il comprit
qu'il s'était passé quelque chose
Il devait en avoir le
coeur net et se rendit à nouveau à l'endroit où il avait
échoué sa petite escalade. Dans un élan de bravoure,
il vainquit l'obstacle pour se retrouver dans une grande galerie... une grande
galerie qu'il avait l'impression de connaître
comme si
...
$£#%!&!!!
?...
Il comprit alors qu'il était à nouveau sur le chemin principal
du gouffre, et que Pascal avait sans le vouloir, emprunté un petit
shunt d'une centaine de mètres.
Mardi
1er septembre
Gérard, Patrick P, Pascal P, Michel et Marc font partie de la seconde
équipe.
A 9 h 00, ils s'introduisent dans le gouffre. Une fois dans la grande galerie,
ils déplacent le bateau au "bon" Lac Cadoux !...
Au Vestiaire, ils effectuent leur première halte pour manger. C'est
là que Michel s'aperçoit qu'il a perdu le pointeau de son réservoir
acétylène. Heureusement pour lui, Pascal, le dépanneur
de service, lui bricolera un système avec du fil électrique.
Son éclairage n'a d'ailleurs jamais si bien fonctionné que depuis
ce moment là !...
Dans le Grand Canyon, ils font un second arrêt pour manger. Après
9 heures passées dans le gouffre, ils arrivent au fond. Le temps n'étant
pas des meilleurs avant la descente, ils ne s'attardent pas dans cette zone
et attaquent directement la remontée en récupérant les
cordes. Après la Vire-tu-Oses, petit moment de tension dans le groupe...
Michel, encore lui, est sûr que la rivière a grossi
Après délibération avec preuves à l'appui
l'équipe ainsi rassurée reprend sa route.
Un nouveau repas est pris dans le Grand Canyon, et le déséquipement
reprend. Ils récupèrent ainsi toutes les cordes et mousquetons,
et déposent l'ensemble à -250 à la base des puits. Après
29 heures passées sous terre, ils ressortent presque en même
temps.
Mercredi
2 septembre
Journée repos pour chacun. Certains iront grimper à la petite
école d'escalade de Plénouse (à quelques minutes du camp).
Mais vu la forme générale, les V Sup. ressemblent plutôt
à des VI A...
Un groupe de spéléos anglais s'installe également dans
le pâturage à proximité de notre camp.
Jeudi
3 septembre
La première équipe retourne dans la cavité, avec pour
mission de faire des photos jusqu'à la Salle des Treize, récupérer
tout le matériel laissé à -250 et encore déséquiper
les puits d'entrée. Le tout fut réalisé en 7 heures.
C'est avec une certaine nostalgie qu'ils quittèrent le gouffre, et
chargés comme des mulets, ils regagnèrent le camp.
La soirée qui suivit fut épique et mémorable
notre
expédition avait eu un succès total et s'était déroulée
comme prévu. Nous pouvions alors fêter notre victoire...
Pendant toute la nuit, le vin et les bières ont coulé à
flot dans une ambiance à tout casser
Nos voisins anglais, attirés
par le bruit, se sont rapidement joints à nous. Le clou de la nuit
fut la devenue célèbre "fondue Berger".
Dans une énorme casserole, Marc et Patrick nous ont concocté
une sorte de savant mélange avec tous les restes qu'ils pouvaient trouver
sous la main
Chacun n'a d'ailleurs jamais trop su ce qu'il y avait dans
cette fondue, mais je crois que c'est mieux ainsi!
Vendredi
4 septembre
Les premiers levés découvriront sous la grande tente réfectoire,
2 anglais encore à moitié ivres, affalés sur le sol
Sinon ce fut une nouvelle journée relaxe pour tout le monde. Certains
visitèrent les caves
ou plutôt les Cuves de Sassenage, tandis
que d'autres se reposèrent au soleil.
Samedi
5 septembre
De bonne heure, chacun commença à plier le camp.
A midi tout fut terminé, et un dernier repas en commun fut pris sur
le parking. Nous avons eu un temps magnifique pendant toute la semaine, et
au moment de partir c'est sous une pluie battante que nous quittâmes
l'endroit.
Quelques semaines plus tard, nous avons appris que le corps de l'Anglais avait
été retrouvé.
Parti seul depuis -900 avec l'intention de ressortir, il est remonté
sans difficulté jusque dans les grands méandres près
de l'entrée. Là, pour une raison inconnue, il s'est écarté
du chemin évident de la sortie, pour tenter une escalade en libre.
Ayant franchi l'obstacle, il s'est retrouvé en terrain vierge et comme
c'est souvent le cas, dans une zone non stabilisée. C'est alors qu'un
gros rocher céda sur son passage, entraînant le malheureux dans
sa chute.
[ Haut
de page ] / [ Home
]